Les origines du flamenco

Source : Guía del flamenco – Luis López Ruiz – Ediciones Akal 2016

Malgré toutes ses apparences d’art archaïque et antique, le flamenco tel que nous le connaissons aujourd’hui n’a qu’un peu plus de deux siècles d’existence.

Un peu d'histoire

Fernando Quiñones estime que les formes actuelles du chant flamenco n’ont été dessinées qu’à partir du XVIIIème siècle et d’ailleurs la première référence littéraire date de 1847 dans l’ouvrage de Serafin Estebañez Calderon : Scènes andalouses.

Le lien entre les gitans et le flamenco est total et leur participation a été déterminante dans la gestation du flamenco, mais néanmoins on peut affirmer que le flamenco n’est pas le patrimoine exclusif des gitans comme beaucoup le prétendent. Sans eux, le flamenco n’existerait pas, mais ils n’en n’ont pas été ses créateurs exclusifs.

Origines
Venus du nord de l’Inde, de la région aujourd’hui connue sous le nom de Pakistan, les gitans commencent leur exode massif au IXème siècle. Un long pèlerinage lent et difficile qui les amènent à se disperser en Europe au début du XIVème siècle. Ils entrent en Espagne en 1425 grâce à un sauf-conduit délivré par le roi Alphonse V et arrivent en Andalousie par la province de Jaen vers 1462. L’esprit ouvert du peuple andalou et leur sens de l’accueil permettront une profonde symbiose entre les deux peuples.

Progressivement les gitans s’acclimatent en Andalousie et assimilent les modes de vie et les coutumes de la terre. Nous savons que les gitans pratiquaient deux types de musique très différents : d’une part, une musique folklorique joyeuse et expansive qui leur a servi à amuser les gens et s’assurer leur pain quotidien mais en parallèle ils ont développé une autre musique intimiste chargée de valeurs, humaine, qu’ils exécutaient seulement dans des cercles très fermés.

Naissance du Flamenco
L’étroite cohabitation qui se tisse entre les gitans et les autochtones leur permet à terme d’assimiler le folklore musical andalou composé de vieilles sonorités orientales et de chants populaires à large gamme musicale et stylistique pour lui injecter leur propre écho racial et faisant ainsi jaillir de ce croisement quelque chose de nouveau : le cante jondo.

Le flamenco apparaît donc lorsque les gitans arrivent en Andalousie mais aussi et surtout parce qu’ils arrivent justement en Andalousie. Les gitans ne chantent pas de flamenco parce qu’ils le sont mais par le fruit de l’exposition musicale qui naît seul et exclusivement de ce métissage de plus de deux siècles et qui se développe spécifiquement dans la région de basse Andalousie entre Seville et Cadix, là où les concentrations de gitans étaient les plus importantes au XVII et XVIIIème siècle. Cette expression musicale et artistique s’étendra ensuite à Huelva, Cordoba et Malaga avant d’atteindre au fil des décennies les autres provinces andalouses puis les régions d’Estrémadure, la Castille et Murcie avant de continuer à se propager par Léon, Madrid et la Catalogne.

Principales étapes du flamenco

En les résumant au maximum nous pourrions parler de préhistoire et d’histoire du flamenco. La préhistoire étant toute la période qui s’étend de ses origines et jusqu’à l’apparition en 1901 des premiers enregistrements discographiques dans le monde du flamenco. Mais découpons en étapes plus courtes et mieux définies ces deux grandes périodes :

1. Etape initiale

Du dernier tiers du XVIIIème siècle jusqu’au début du XIXème siècle Elle sera marquée par l’apparition dans les écrits des premières références concernant le chant flamenco.

2. L’âge d’or du flamenco

Entre 1840 et 1860 Apparition de références littéraires précises sur les premiers chanteurs connus : El Planeta et El Fillo.

3. Le « Café cantante »

Entre 1860 et 1920 Ce lieu d’expression permettra une diffusion maximale du flamenco et l’éclosion de chanteurs exceptionnels tels que : Chacon, Silverio ou Manuel Torres. Pour Frédéric Deval le « café cantante » constituera une étape essentielle dans la professionnalisation du flamenco : le chanteur apprend à construire son récital, la danseuse s’habitue à se mesurer à d’autres et le guitariste apprend également à donner consistance à son style grâce à l’obligation mélodique et harmonique d’accompagner le chant et à l’obligation rythmique d’accompagner la danse.

4. Le flamenco dans les théâtres

Entre 1920 et 1940 L’horizon s’élargit et le flamenco sort des tavernes et des « café cantante » pour envahir les théâtres. Cette période donnera même naissance à l’opéra flamenca : un pseudo-flamenco frelaté qui cessera rapidement d’être à la mode. Ríos Ruiz ira jusqu’à affirmer que rien n’a été plus dommageable pour le chant que la scène.

5. Les années 50

Cette période ouvrira une nouvelle étape dans l’histoire du flamenco et le transformera profondément. Plusieurs facteurs déterminants conduiront à cette renaissance qui sera définitive : La publication du livre d’Anselmo González Climent intitulé Flamencologie et qui sera suivi d’une large campagne de conférences et plus d’une cinquantaine de publications. La création de la chaire de flamencologie à Jerez de la Frontera. La mise sur pied du Concours National d’Art Flamenco de Cordoue. L’apparition de la première anthologie discographique du flamenco d’Hispavox

6. Dès les années 60

L’essor économique des années 60 ainsi que l’augmentation spectaculaire du tourisme contribueront de manière décisive à la multiplication des « tablaos flamencos » qui draineront principalement un public étranger et feront la part belle à la danse plus attrayante et accessible que le chant. Cette rencontre du flamenco avec le public étranger ainsi que l’impressionnante discographie flamenca de ces années ouvriront les portes à l’internationalisation de cet art.

7. 60 dernières années

Ces 60 dernières années le flamenco disposera également de deux autres importants canaux de diffusion : les festivals organisés généralement en été et les créations en lien avec le Nouveau Théâtre à thématique flamenca tels que : Oratorio del Teatro Lebrijano ou Quejío de la Cuadra de Sevilla ou encore Camelamos Naquerar de Mario Amaya.

La création de ces institutions culturelles, fondations, congrès et biennales ont indubitablement exercé une influence décisive sur le flamenco. Aujourd’hui il s’appuie sur des structures solides qu’il n’avait jamais eues auparavant et qui assurément le maintiendront en vie pour toujours et qui lui ont même permis d’être reconnu Patrimoine Culturel Immatériel de l’Humanité par l’Unesco en 2010 !

Formes d’expressions du flamenco

Source : Guía del flamenco – Luis López Ruiz – Ediciones Akal 2016

Le chant, la danse et la guitare sont les trois piliers fondamentaux du flamenco : son triangle magique !

1. Le chant

« Le chant ne se comprend pas, il se vit !« 
Fernando Quiñones

Il jaillit exclusivement d’une passion individuelle et personnelle. Certains comme Ricardo Molina, même sans en donner une définition, osent exprimer la trace qu’il leur a laissé : Ce que le chant flamenco exprime, ce sont les sentiments et les intuitions radicales de l’homme et même la blessure profonde que cet écho leur cause. Le chant est une publication des maux chroniques de l’humanité mais qui peut être aussi une expression de joie intense. Le chant a toujours été un art de transmission orale. Les textes ne sont pas écrits :

« Ils sont chantés et ressentis, ils naissent du cœur, non de l’intelligence, et sont faits de cris plus que de mots. »
Manuel Machado

Ce n’est que ces dernières décennies, où il est devenu courant, que les poètes écrivent pour le chant ou que les chanteurs usent de la poésie pour chanter.
Il existe une cinquantaine de types différents de chants dans le flamenco, chacun d’entre eux se déclinant ensuite dans des variantes ou des modalités géographiques ou personnelles.
Ces différents styles de chants, qu’ils soient dansables ou non, peuvent être regroupés en trois grandes catégories : Chants fondamentaux et ses dérivés (martinete, seguiriya, solea, buleria, alegria, tangos, …) / Fandangos et ses dérivés (de Malaga, Huelva, Almeria, Lucena, Granada, …) / Chants à consonance flamenca d’origine folklorique régionale ou hispano-américaine (sevillanas, garrotin, farruca, guajira, colombiana, rumba, …)

2. La danse

La danse flamenca n’a d’autre origine que l’adaptation gitane des rythmes déjà existants. Les andalous et les gitans, dans la symbiose commune qui les a unis à partir du XVe siècle ont réinterprété les sonorités dansables qui provenaient du folklore andalou et d’autres origines plus lointaines jusqu’à leur donner leur forme flamenca. Les premières allusions littéraires à la danse des gitans en Espagne datent du XVIe siècle, mais ce n’est pas avant le milieu du XVIIIe siècle que les écrits sur les danses appartenant au monde du flamenco apparaissent.
La danse est comme un prolongement fiévreux du chant. Elle vit de celui-ci et elle s’en alimente mais de par sa nature, la danse est plus extravertie et englobe de plus grandes possibilités d’expressions. Elle est plus sensorielle que le chant et fascine avec une plus grande rapidité. Elle fait appel simultanément à la vue et à l’ouïe et de ce fait plus facile à comprendre et à admirer. La danse est à l’intersection entre le terrien et le divin. Elle est grâce, style, mime, consistance, personnalité, fougue, intériorité, … : elle est tout à la fois !

3. La guitare

La guitare n’a été incorporée au chant flamenco qu’au XIXe siècle, car il est clair que le chant, à ses origines, s’est dispensé de tout accompagnement musical. Jusqu’au milieu du XXe siècle, la guitare n’a jamais outrepassé sa mission d’accompagner, de réguler et de canaliser le chant.

« Le guitariste est le héros anonyme du flamenco ! »
Donn Elmer Pohren, 1962

Le guitariste ne connaît généralement pas le solfège, il joue à l’oreille, par intuition ce qui demande de sa part une énorme dose de personnalité, d’improvisation et de feeling : ces trois éléments définissent parfaitement les caractéristiques du guitariste flamenco. La guitare s’efforce de se placer au niveau du chant et de la danse comme complément primordial et progressivement la manière de jouer s’affine et s’affirme. Déjà caractérisée par des sons plus rudes et plus archaïques elle va se renforcer, s’enrichir et se complexifier dans son style, sa forme et sa technique. Les choses vont complètement changer à partir de 1975 lorsque le Théâtre Royal de l’Opéra de Madrid ouvre ses portes pour le premier concert de guitare flamenca à Paco de Lucia. La grande aspiration de tout guitariste de flamenco aujourd’hui est d’atteindre la perfection et l’envergure nécessaire pour jouer en solo, donner des concerts, enregistrer des albums et ainsi offrir à la guitare la même place et reconnaissance dans le flamenco que le chant et la danse.